23 février 2007

Affaire Dieudonné : Suite et fin ?

Par un arrêt du 16 février 2007, la Cour de cassation, renvoit à la Cour d'appel de Versailles pour statuer définitivement sur le sort de Dieudonné. Pour résumer : Dieudonné est relaxé définitivement mais sera condamné à indemniser les victimes.

Celui-ci avait été relaxé trois fois dans cette affaire (une fois par le tribunal correctionnel de Paris, deux fois par la cour d'appel de la même ville : et 9 février 2006). Dans l'ensemble, ses tribunaux et cours avaient considérés que :
"replacés dans leur contexte, les termes "les juifs, c'est une secte, c'est une escroquerie" relèvent d'un débat théorique sur l'influence des religions et ne constituent pas une attaque dirigée contre la communauté juive en tant que communauté humaine".

De même en 2005, la Cour de cassation, sur la même affaire avait relaxé Dieudonné du moins du chef d'incitation à la discrimination raciale (arrêt du 15 mars 2005).

La nouvelle décision de la Cour de cassation renvoie l'affaire une dernière fois devant la Cour d'appel de Versailles (et non plus Paris). Celle-ci ne pourra que se plier à la position de principe de la Cour de cassation. Dieudonné ne pourrait donc pas échapper à la condamnation pour injure racial. La Cour de cassation ayant rappelé que "...propos de dieudonné...ne relève pas de la libre critique du fait religieux, participant d'un débat d'intérêt général mais constitue une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d'expression dans une société démocratique".

Seulement dans cette dans cette affaire, le parquet général ne s'est pas pourvu en cassation, et ce dès la première décision de la cour d'appel de Paris. De ce fait, l'action publique est éteinte et donc Dieudonné ne peut plus être reconnu coupable (et donc condamné) du délit et se voir infliger une peine, le parquet n'ayant pas contesté sa relaxe.

Seule l'action civile, exercée par les associations en cause (la LICRA et le consistoire central union des communautés juives de France), continue, et c'est de cette action seule qu'est saisie la cour d'appel de Versailles. Les associations en cause peuvent être indemnisées.

Pour "le journal d'un avocat" aussi, "la cour d'appel de Versailles ne pourra que constater que les éléments du délit sont réunis et condamner Dieudonné à payer des dommages intérêts et frais de procédure à ces associations, mais aucune condamnation pénale ne sera prononcée, et rien ne figurera sur son casier judiciaire".

Ci-dessous la décision complète.

06-81.785
Arrêt n° 552 du 16 février 2007
Cour de cassation - Assemblée plénière


Cassation partielle

* Communiqué







Demandeur(s) à la cassation : Le Consistoire central union des communautés juives de France

Défendeur(s) à la cassation : M. X..., dit Y...



L'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme et le Consistoire central union des communautés juives de France se sont pourvus en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 30 juin 2004 (11e chambre, section A) ;

Cet arrêt a été partiellement cassé le 15 mars 2005 par la chambre criminelle de la Cour de cassation ;

La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 9 février 2006 dans le même sens que la précédente formation de la même cour d'appel par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation ;

Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt du 9 février 2006, M. le premier président a, par ordonnance du 21 juin 2006, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;

La demanderesse invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, avocat du Consistoire central union des communautés juives de France ;

Le rapport écrit de M. Gueudet, conseiller, et l'avis écrit de M. Mouton, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

(...)

Sur le moyen unique :

Vu les articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le journal "Lyon Capitale" a publié dans son numéro du 23 au 29 janvier 2002, dans une rubrique intitulée "Politique présidentielle 2002" sous le titre "Y... humoriste et candidat aux présidentielles. Y... existe-t-il ?", un entretien au cours duquel, M. X..., dit Y..., en réponse à la question "que pensez-vous de la montée de l'antisémitisme parmi certains jeunes beurs ?" a déclaré "Le racisme a été inventé par Abraham. "Le peuple élu", c'est le début du racisme. Les musulmans aujourd'hui renvoient la réponse du berger à la bergère. Juifs et musulmans pour moi, ça n'existe pas. Donc antisémite n'existe pas, parce que juif n'existe pas. Ce sont deux notions aussi stupides l'une que l'autre. Personne n'est juif ou alors tout le monde. Je ne comprends rien à cette histoire. Pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première. Certains musulmans prennent la même voie en ranimant des concepts comme "la guerre sainte..." ; que sur plainte de l'Union des étudiants juifs de France, le procureur de la République a fait citer directement M. X..., devant le tribunal correctionnel pour y répondre notamment du délit d'injure publique raciale ; que le Consistoire central union des communautés juives de France s'est constitué partie civile ;

Attendu que, pour débouter la partie civile, l'arrêt retient que, replacés dans leur contexte, les termes "les juifs, c'est une secte, c'est une escroquerie" relèvent d'un débat théorique sur l'influence des religions et ne constituent pas une attaque dirigée contre la communauté juive en tant que communauté humaine ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'affirmation "les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première", ne relève pas de la libre critique du fait religieux, participant d'un débat d'intérêt général mais constitue une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d'expression dans une société démocratique, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des propos incriminés et les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions ayant débouté le Consistoire central union des communautés juives de France de son action civile du chef d'injure publique raciale, l'arrêt rendu le 9 février 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;



MOYEN ANNEXÉ

Moyen produit par la SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour le Consistoire central union des communautés juives de France


VIOLATION des articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale ;

EN CE QUE l'arrêt attaqué a jugé non constitué le délit d'injure publique envers la communauté juive ;

AUX MOTIFS QUE le prévenu ne conteste pas avoir tenu les propos reproduits dans le périodique Lyon Capitale ; que le passage incriminé doit être replacé dans son contexte ; qu'en réponse à une question du journaliste Philippe Chaslot sur la « dette de la France envers les descendants d 'esclaves », Y... critique l'attitude des pouvoirs publics et saisit cette occasion pour attaquer violemment la religion catholique : « ... En cas de crise, Chirac et Jospin se retrouvent ensemble dans une église. Moi, à leur place, plutôt que d'écouter les bêtises de Lustiger, j'aurais pris les textes sacrés et je les aurais brûlés sous l'Arc de Triomphe pour symboliser la destruction des frontières virtuelles qui séparent les hommes jusqu'à les pousser à s 'entretuer » ; que le journaliste évoque alors la « montée de l'antisémitisme chez certains jeunes beurs » ; que Y..., dans sa réponse, renvoie dos à dos les musulmans et les juifs, impute le phénomène du racisme aux religions et proclame son athéisme : « Juifs et musulmans, pour moi, ça n'existe pas. Donc antisémite, ça n'existe pas parce que juif n'existe pas. Ce sont deux notions aussi stupides l'une que l'autre. Personne n'est juif ou alors tout le monde. Je ne comprends rien à cette histoire » ; qu'il poursuit sa démonstration en ajoutant : « Pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première. Certains musulmans prennent la même voie en ranimant des concepts comme la guerre sainte, etc. » ; que replacée dans son contexte, la phrase « les juifs, c'est une secte, une escroquerie » ne vise pas la communauté juive en tant que communauté humaine mais la religion juive ; que Y... la fustige au même titre que la religion musulmane (« Les musulmans aujourd'hui renvoient la réponse du berger à la bergère ») et la religion catholique (« ... j'aurais pris les textes sacrés et je les aurais brûlés sous l'Arc de Triomphe... »), tout en faisant peser sur la religion juive une responsabilité particulière en tant que « première » religion monothéiste ; que la phrase poursuivie relève d'un débat d'ordre théorique sur l'influence des religions et ne constitue pas une attaque dirigée contre un groupe de personnes en tant que tel ; que cette interprétation est confortée par le commentaire introductif du journaliste : « ... Son anticléricalisme tous azimuts l'entraîne à nier jusqu'à l'existence même du fait religieux » ; que Y..., qui associe racisme et religion, dénonce dans sa réponse avec une même virulence toutes les religions ; que dès lors l'un des éléments constitutifs du délit d'injure publique envers un groupe de personnes fait défaut ;

ALORS QUE, D'UNE PART, il résulte des propres constatations de l'arrêt que Y... avait tenu les propos suivants : « Pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c 'est la première » ; que ces propos mettaient spécialement en cause la communauté juive, présentée comme « une des plus graves escroqueries » parce que « la première de toutes » si bien qu'en refusant de sanctionner l'atteinte injurieuse que ces propos faisaient subir, en raison de leur appartenance religieuse, à un groupe de personnes précisément désigné, à savoir la communauté juive de France, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en jugeant non punissables les propos injurieux parce qu'ils n'auraient pas visé « la communauté juive en tant que communauté humaine mais la religion juive (...) tout en faisant peser sur la religion juive une responsabilité particulière », et n'auraient pas constitué « une attaque dirigée contre un groupe de personnes en tant que tel », alors que ces propos mettaient précisément en cause la communauté juive à raison de sa religion, ce qui manifestait une conviction ouvertement antisémite, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881.



Président : M. Canivet, premier président
Rapporteur : M. Gueudet, conseiller, assisté de M. Roublot, auditeur au service de documentation et d'études
Avocat général : M. Mouton
Avocat(s) : la SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier

Aucun commentaire: