18 mai 2006

Un conflit entre un avocat et son ancien cabinet retombe sur un client

Un conflit entre un avocat et son ancien cabinet retombe sur un client
LE MONDE | 17.05.06


our le puissant cabinet anglo-saxon Clifford Chance, Me Avi Bitton est en train de se transformer en cauchemar. Ancien collaborateur parisien de l'entreprise spécialisée dans le droit des affaires et installée dans dix-neuf pays, l'avocat avait été licencié, en septembre 2005, au terme d'un long conflit du travail dans le cadre d'un accord confidentiel. Devenu indépendant, Me Bitton a constitué sa propre clientèle. Il pensait en avoir fini des relations tumultueuses avec son ex-employeur. Leur différend vient pourtant de connaître un rebondissement.



A la fin du mois de décembre 2005, un client de l'avocat est placé en garde à vue dans le cadre d'une affaire criminelle. Son épouse l'accuse de viol. Il réclame l'assistance de Me Bitton. Le juge d'instruction saisi du dossier fait appeler Clifford Chance. Le cabinet refuse de lui communiquer les nouvelles coordonnées de son ancien collaborateur. Résultat : lors de l'interrogatoire de première comparution, Michel L. est interrogé hors la présence de son défenseur ; à l'issue de cette audition, il est mis en détention provisoire à la maison d'arrêt de la Santé à Paris, où il est incarcéré.


"ILS ONT VOULU RÉGLER LEURS COMPTES"


Au mois de février survient un second incident. Le magistrat instructeur adresse à Me Bitton une lettre recommandée qui le convoque pour un interrogatoire de Michel L., sur le fond de l'affaire. Le courrier n'est réacheminé à l'avocat par Clifford que trois semaines plus tard. L'audition a déjà eu lieu. Une nouvelle fois, le mis en examen s'est retrouvé seul face au juge.

Il décide alors de porter plainte. Dans cette procédure, il est assisté par un avocat du barreau de Versailles, président de la commission des libertés du Conseil national des barreaux, Me Didier Liger. Le 10 avril, le tribunal de grande instance de Paris rend une ordonnance en référé favorable au plaignant. Elle condamne Clifford à verser la somme de 7 500 euros à Michel L. "Je suis vraiment scandalisé par leur attitude, explique Me Liger. Ils ont voulu régler leur compte avec Me Bitton sur le dos du client." Michel L. risque une peine de dix ans d'emprisonnement. Le cabinet anglo-saxon a décidé de faire appel de la décision prise par le tribunal. Il vient cependant de verser, comme l'y oblige la loi, les 7 500 euros. Sollicité par Le Monde, le président de Clifford France, Me Yves Wehrli, a expliqué : "Nous ne ferons pas de déclarations publiques avant la décision de la justice en appel." Le cabinet assure pouvoir apporter la preuve de sa bonne foi en appel le 6 octobre.

Lors de la première audience, les défenseurs de Clifford Chance avaient expliqué, en guise de justification, que le cabinet n'avait pas été autorisé à transmettre les coordonnées de son ancien collaborateur. Cette position avait été vivement contestée par Me Bitton. Il avait été en mesure de faire la démonstration que, lors de son départ, il avait laissé à son bureau un message électronique qui livrait aux appelants un numéro de téléphone mobile. Il avait confirmé cette procédure par un autre e-mail envoyé à un confrère du cabinet anglo-saxon.

Diplômé de la London School of Economics, Me Bitton avait un profil idéal pour Clifford Chance. Les relations entre employeur et employé s'étaient tendues lorsque l'avocat avait créé au sein de l'entreprise une section syndicale de la CFTC, pour protester contre les conditions de travail au sein de l'entreprise et les horaires extensibles des collaborateurs. Cette décision avait ouvert la voie à un conflit entre les deux parties, au terme duquel le cabinet s'était vu refuser le licenciement de Me Bitton.



Pascal Ceaux
Article paru dans l'édition du 18.05.06

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