Dans un contexte d'essor des procédures de deferred prosecution agreement aux Etats-Unis, et compte tenu de l'examen de la loi Sapin II par le sénat, la compliance est devenu un thème de réflexion important.
La compliance ouvre un nouveau paradigme pour les avocats. « L'avocat change, notre profession change », prévient-il, « nous devons assurer une nouvelle offre pour une nouvelle demande ». Si l'avocat tenait auparavant une défense de connivence ou de rupture, il devra désormais intégrer la défense de négociation, qui se fera avec le juge, l'avocat ou le client. Il s'agit ni plus ni moins d'un « nouveau métier d'avocat », assure l'ancien bâtonnier, animateur de cette conférence intitulée « compliance : nouveaux champs d'intervention, nouvelles pratiques… nouvelle déontologie ? ».
La France lanterne rouge
Selon Antoine Gaudemet, professeur des universités et spécialiste de cette question, la compliance recouvre « l'ensemble des processus permettant d'assurer la conformité des comportements de l'entreprise, de ses dirigeants et de ses salariés aux normes juridiques et éthiques qui leur sont applicables ». Elle concerne donc des branches du droit diverses et variées, allant de la lutte pour la corruption au blanchiment d'argent, en passant par la responsabilité sociale ou environnementale, l'évasion fiscale ou encore la protection des données à caractère personnel.
Mais si la compliance n'est prise en compte par les avocats que depuis peu, c'est en raison des réticences de la France à l'intégrer dans son ordre juridique. Procédant à une analyse chronologique, Antoine Gaudemet rappelle que la France est restée « longtemps réfractaire à l'idée de compliance et à tout ce qu'elle implique comme changements ». L'universitaire évoque des raisons culturelles et philosophiques ayant conduit à ce retard, qualifiant par la même la France de « mauvais élève ».
En effet, les États-Unis, bercés par le libéralisme économique, « placent le marché au centre », et « s'offusquent de tout ce qui porte atteinte à son libre fonctionnement », plaisante le professeur. Ainsi, la corruption est un véritable « crime » contre l'économie de marché, portant une atteinte directe au pacte social, explique Antoine Gaudemet. Au contraire de l'hexagone, où l'État occupe une place centrale et privilégie dans son action l'interventionnisme.
À tel point que la corruption d'agents publics étrangers était auparavant « non seulement encouragée mais même déductible fiscalement » s'amuse l'universitaire. Ainsi, pour le spécialiste, les Etats-Unis privilégient « la recherche d'efficacité économique sur l'idéal de vérité judiciaire ». Par quels procédés ? Notamment par la mise en place de « l'accord de poursuite différé » (deferred prosecution agreement), devenu « le principal vecteur de compliance des autorités judiciaires américaines », selon Antoine Gaudemet. Cet accord allie la dimension répressive (sanction pécuniaire) à l'aspect préventif (mise en place de programmes de conformité), sans pour autant engager la responsabilité pénale de l'entreprise, empêchant ainsi de provoquer sa disparition.
D'autre part, la France se méfie de la transaction pénale et lui reproche d'« empêcher la manifestation de la vérité, et [d'autoriser] une justice de connivence », déplore Antoine Gaudemet. Ce comportement conduit à l'effet inverse, les entreprises ne sont pas incitées à adopter des processus de mise en conformité. Alors que dans la plupart des pays occidentaux, la problématique de la compliance est d'ores et déjà intégrée, et ce depuis la signature d'une convention anti-corruption de l'OCDE entrée en vigueur en 1999.
La compliance enfin prise en compte
Cette distorsion entre les système juridiques a, en outre, conduit à l'application extraterritoriale des lois américaines, provoquant la condamnation d'entreprises françaises à de lourdes amendes (Alstom, BNP Paribas).
Mais ces multiples amendes ont amené une certaine prise de conscience des Pouvoirs publics, indique Antoine Gaudemet.
Ainsi, le parquet national financier (installé en 2013), qui a compétence en matière de délits boursiers ou de fraude fiscale, a reçu des moyens juridiques renforcés (avec notamment la protection des lanceurs d'alerte). Le professeur note deux extrémités : d'un côté la lutte contre le blanchiment et les obligations de prévention qui sont assez développées, et de l'autre la corruption, qui suit les lignes directrices (en date de mars 2015) du service central de prévention de la corruption (un service de la chancellerie qui n'a pas de compétences opérationnelles et ne peut opérer de contrôle ou de sanction).
Ces lignes directrices, qui font office de document de référence pour les entreprises désireuses de mettre en place un programme de compliance, intègrent les six principes suivants :
La loi Sapin II, lueur d'espoir
La loi Sapin II, qui attend actuellement son passage en commission mixte paritaire, devrait constituer « le texte fondateur, le cadre qui fait défaut aux obligations de compliance en droit français », estime Antoine Gaudemet. Et ce, grâce à la création d'une obligation de prévention contre les risques de corruption à la charge des entreprises, en lieu et place des lignes directrices précitées.
Elle pourra être proposée par le procureur avant la mise en mouvement de l'action publique aux entreprises mises en cause pour des faits de corruption ou de trafic d'influence, qu'ils soient internes ou internationaux. La sanction pécuniaire sera limitée à 30% du chiffre d'affaires moyen annuel, et pourra s'accompagner d'une peine complémentaire de mise en conformité, exécutée sous le contrôle de l'Agence de lutte contre la corruption.
Il est à noter qu'elle sera homologuée en audience publique par un magistrat du siège, mais ce jugement d'homologation ne vaudra pas déclaration de culpabilité pénale.
Des nouveautés qui sont « sans doute à même de convaincre que la France est réellement entrée dans l'ère de la compliance » mais surtout de « dissuader les autorités américaines d'exercer leur compétence extraterritoriale », affirme Antoine Gaudemet. C'est ce dernier point qui est particulièrement visé par la loi, et vivement attendu par les grandes entreprises selon le professeur. En effet, dans une affaire SBM offshore, le bureau du procureur hollandais ayant conclu un accord de transaction de 240 millions de dollars, le département de la justice américain a fait connaitre son intention de ne pas poursuivre la société.
Antoine Gaudemet espère que ce mouvement marquera l'ouverture d'une « coopération internationale en matière de délinquance financière mondialisée ».
De l'éthique à la gestion du risque
Laurent Cohen-Tanugi, avocat aux barreaux de Paris et de New-York, mais aussi premier français « monitor » dans l'affaire Alcatel (l'entreprise, accusée de corruption, a versé 137 millions de dollars dans un accord à l'amiable), questionne directement la compliance. « Pourquoi tout ce bruit autour de la compliance, alors que nul n'est censé ignorer la loi ? », demande-t-il, citant un adage qui a perdu tout son sens du fait de l'inflation législative.
Pour cet avocat qui exerce à l'international, le « pas vu pas pris» ne suffit plus, et il fallait trouver une « troisième voie entre impunité et condamnation pénale » permettant à l'entreprise de « se réformer et survivre ». C'est aussi et surtout un changement pour les entreprises, qui envisageaient cela sous l'angle de l'éthique (avec une charte et un responsable éthique), et doivent désormais passer à la gestion des risques, précise Me Cohen-Tanugi.
C'est aussi un rôle « complètement nouveau pour les avocats» estime le spécialiste, puisque la fonction de l'avocat monitor n'est pas d'être « détective » mais de « faire une évaluation systémique de la fonction compliance au sein de l'entreprise ». Ceci lui permettant d'éviter la récidive, ainsi que des poursuites au pénal.
Ainsi, avec ce mandat public, l'avocat monitor détient un rôle de « contrôleur, d'évaluateur , tout en gardant une certaine distance afin d'évaluer et de certifier », indique Me Cohen-Tanugi. Mais l'avocat peut également intervenir en amont, en mettant en place une fonction de compliance dans l'entreprise.
Pierre-Olivier Sur emboîte le pas de son confrère, en soulignant que les avocats ne sont plus « les avocats de Daumier avec des effets de manche qui défendent leurs clients jusqu'au mensonge » mais des « acteurs de la vérité judiciaire et de la sécurité juridique ». L'avocat intervient désormais ab initio et non plus ex post, insiste l'ancien bâtonnier, qui conclut en indiquant que cette nouvelle fonction est « une énorme opportunité » à laquelle les avocats auraient tort de tourner le dos.
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